Claire DEDIEU a soutenu sa thèse de doctorat le 19 novembre 2019, à la faculté de droit et science politique de l'Université de Montpellier devant le jury composé de :

Sylvain BARONE, chargé de recherche Inrae, G-EAU (co-encadrant de thèse)
Anne-Cécile DOUILLET, professeure de science politique, Université de Lille (Rapporteure)
Claire DUPUY, professeure de politique comparée, Université catholique de Louvain (Examinatrice)
Christine MUSSELIN, directrice de recherche CNRS, CSO (Présidente du jury)
Emmanuel NÉGRIER, directeur de recherche CNRS, CEPEL (directeur de thèse)
François-Mathieu POUPEAU, chargé de recherche CNRS, LATTS (Rapporteur)

 

Résumé : Les ingénieurs et techniciens du ministère de l’Agriculture ont, pendant longtemps, façonné les politiques d’alimentation en eau potable et d’assainissement des communes et de leurs groupements. Ces fonctionnaires intervenaient dans le cadre de missions qualifiées « d’ingénierie publique ». En 2008, dans le contexte de la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP), cette mission a été supprimée. L’objet de la thèse est de comprendre ce qui se joue concrètement à travers cette réforme. S’appuyant sur une enquête menée dans les départements de l’Hérault, de Vaucluse et de la Lozère, ce travail analyse les recompositions de l’État qui font suite à la suppression de l’ingénierie publique, que ce soit en interne ou dans ses relations avec les acteurs de l’ingénierie privée et les collectivités territoriales. L’originalité de la thèse est de discuter les théories qui présentent les réformes de l’État comme un moyen pour celui-ci de se redéployer sans se retirer. À partir du cas de l’eau, elle encourage à penser les réformes contemporaines autrement, comme des moments où l’État est aussi parfois susceptible de se retirer. Elle montre les incohérences et les paradoxes auxquels donne lieu ce retrait de l’État. Elle propose enfin des outils d’analyse adaptés à cette approche alternative des transformations de l’action publique.

 

Mots-clés : État ; réforme ; retrait ; politiques de l’eau ; ingénierie publique ; France

 

Cette thèse propose une analyse ancrée des organisations et des relations sociales qui façonnent les usages de l'eau en Crau. L’approche inductive et multi-échelle a pour ambition de saisir l’ensemble des interactions entre acteurs humains et non-humains qui participent au gouvernement et aux pratiques de l’eau sur cet espace. La thèse s’inscrit dans les courants constructivistes en sciences humaines et sociales. Elle est à la fois historique et critique, dans le but de mettre en lumière la généalogie, mais également, le fonctionnement des dispositifs de gouvernement ainsi que les arrangements, contournements ou oppositions qu’ils suscitent. Le travail de terrain s’est focalisé sur les organismes de gestion et les controverses relatives à l’eau en Crau. L’objectif était d’identifier et d’étudier des réseaux d'acteurs afin d’explorer différentes facettes plus ou moins visibles de l’eau. Un travail sur archives historiques et contemporaines a permis de situer les continuités et les discontinuités des formes de gouvernement de l'eau. Une enquête par entretiens et observation de réunions professionnelles ou publiques a nourri la réflexion sur les jeux d’acteurs actuels.

 

La recherche met en lumière un réseau hétérogène d’êtres et d’objets qui interagissent pour construire une multiplicité d’eaux. L’eau passe par la vanne, est « mise » par l’irriguant, est « vissée » par le garde canal, pompée dans la nappe, alimente des zones humides remarquables et vulnérables ou encore est mesurée par les instruments de l’ingénieur. Ces acteurs redéfinissent sa nature, sa forme, ou encore ses usages légitimes. La thèse permet non seulement de situer les discours tels que l’« eau-ressource », ou la « gestion intégrée de l’eau », mais encore de suivre les transformations qu’ils induisent. En effet, cette recherche ne porte pas seulement sur les constructions matérielles, symboliques ou encore normatives qui sous-tendent ou territorialisent les discours gestionnaires. Elle donne également à voir les arrangements, les adaptations et les résistances qu’ils produisent en retour, chez les gestionnaires et au-delà chez l’ensemble des acteurs de l’eau en Crau. C’est dans cette tension entre les façons de gouverner et les façons de faire que se situe le cœur et l’apport empirique de la thèse.

 

La Crau a fait l’objet de nombreux aménagements hydrauliques qui l’on profondément reconfigurée. Ils ont établi une frontière entre Crau sèche « originelle » et Crau humide « productive ». L’irrigation gravitaire de prairies (environ 12 000 hectares) par submersion permet la production de foin de Crau (foin de qualité bénéficiant d’une AOP). Cette production dépend d’un réseau hydraulique dérivant historiquement l’eau de la Durance, désormais alimenté par les aménagements hydrauliques d’EDF en Durance. La nappe de Crau est alimentée à plus de 70% par les infiltrations dues à ces pratiques hydrauliques. Depuis les années 1970, le développement industriel, l’agriculture intensive et l'urbanisation de la Crau ont conduit à une exploitation croissante de cette nappe. Elle approvisionne actuellement 270 000 habitants et est considérée comme vulnérable, notamment du fait de son alimentation dépendante de la production de foin. Elle fait d’ailleurs l'objet d'une gestion « institutionnalisée » destinée à sécuriser la ressource. Etudier l’eau en Crau permet d’offrir un double apport à la géographie humaine. D’une part, cela permet une analyse spatialisée et multi-scalaire des relations à l’eau. D’autre part, cela nourrit une lecture critique de la construction des savoirs (cartes, milieux, terroirs, territoires) et de leurs rôles dans le gouvernement de l’eau.

 

La modernisation, processus ayant pour objectif de faire advenir une forme de modernité, est au cœur de la première partie de la thèse. La « modernité » s’entend ici  comme un idéal émancipatoire fondé sur une augmentation de l’objectivité, de l’efficacité, de la rentabilité et de la formalisation (Latour, 2004). La première partie explore la construction de trois vagues de modernisation des eaux en Crau ainsi que les controverses produites par le déploiement des dispositifs qui les accompagnent. Elle donne une perspective historique des changements de la modernité depuis les années 1790 au niveau national et régional à partir du cas de la plaine de la Crau. Avec la Révolution Française, la première vague de modernisation vise à conquérir et mettre en valeur le territoire. Dans les années 1950, la deuxième vague est fondée sur la reconstruction de la France. Depuis les années 1990, une troisième vague déploie une vision sécuritaire de la gestion de l’eau. L’étude de la mise en œuvre de dispositifs typiques de chaque modernisation permet d’expliciter la doctrine, de souligner les non-dits de la modernité, et de comprendre les écueils rencontrés. Ces grandes volontés réformatrices et les transformations matérielles qu’elles produisent sont au cœur des récits actuels de nombreux acteurs impliqués dans la gestion des eaux. Cette partie permet ainsi de situer la mobilisation des savoirs historiques et contemporains et des mémoires locales dans le gouvernement et les pratiques des eaux. Elle met également en lumière les instruments mobilisés - des outils cartographiques aux métrologies - et les reconfigurations d'acteurs qui participent ou s'opposent à ces modernisations. Nous offrons ainsi un éclairage inédit de ces transformations. Elle associe l’analyse fine des constructions politiques des modernités, des dispositifs et des processus d'inclusion ou d'exclusion vécus par les habitants de la Crau.

 

La deuxième partie de la thèse est centrée sur les pratiques actuelles de gouvernement notamment de gestion qui découlent de certains dispositifs identifiés dans la partie précédente. L'étude des structures de pouvoir, des conventions ainsi que des arrangements permet l'identification et l’analyse des façons dont les politiques de l’eau sont territorialisées. Elle permet aussi d’explorer comment les acteurs les contournent ou les détournent. L'analyse ne se limite pas aux normes, aux stratégies formelles et informelles et aux structures mais inclue également les processus de marginalisation et de disqualification pour situer la gestion entre sécurité et discipline. Cette partie étudie des processus de crise. Ils permettent de révéler les stratégies de mobilisation et d’alignement des acteurs dans les dispositifs de gestion. L’étude du fonctionnement par projet permet d’analyser les dynamiques de territorialisation des politiques de gestion. Il conduit, sous un discours dominant d’adaptabilité, de flexibilité et d’efficacité économique, à la précarisation des acteurs devant mettre en œuvre de la gestion. Ceux-ci doivent à la fois faire preuve d’une autonomie accrue et en même temps sont fortement contraints par les financeurs et les discours hégémoniques de « bonne gestion». De plus, la crise et le projet transforme la définition et la matérialité de l’eau. L’eau s’inscrit alors dans une gestion événementielle à court terme d’une ressource à préserver. Celle-ci s’impose progressivement aux acteurs historiques et aux usagers qui doivent faire avec cette eau.

De tout temps, le Sahara a subi de profondes transformations notamment dans le secteur agricole. C’est en particulier vrai dans la région d’El Ghrouss dans les Ziban qui, depuis les années 1980, a connu une accélération des mutations agricoles entrainant de fortes dynamiques d’expansion territoriale. Un véritable front pionnier caractérise cette région sous l’effet du développement de la production maraîchère sous serre irriguée depuis les ressources souterraines formant un « territoire de l’eau » en expansion. L’objectif de cette thèse est d’identifier et de comprendre l’ensemble des déterminants de cette néo-agriculture saharienne irriguée en transition, expliquant les déterminants de son extension territoriale et conduisant à sa pérennisation.

La thèse s’articule ainsi autour de la triple relation entre les acteurs, la ressource en eau et l’espace. Dans un premier temps, nous caractérisons les dynamiques transitoires portées par des arrangements entre différents acteurs qui mettent en commun leurs facteurs de production. Dans un second temps, nous interrogeons l’évolution des usages de l’eau souterraine en fonction des mutations observés et de l’expansion territoriale. Enfin, nous analysons les différents facteurs qui favorisent la quête de nouvelles terres à savoir, l’eau, le foncier mais aussi les infrastructures telles que les routes pour la commercialisation et le réseau électrique pour l’alimentation des forages.

Nos résultats montrent d’abord que le boom agricole est porté par deux principales logiques d’acteurs, ayants deux ambitions distinctes : celles des propriétaires visant à investir dans la phœniciculture, et celles de locataires maraîchers associés à des métayers visant une ascension socio-professionnelle. Nous montrons que les arrangements entre acteurs autour d’une agriculture transitoire sont les moteurs de l’expansion territoriale et de l’ascension socio-professionnelle des agriculteurs. Ensuite, nous montrons, à travers une construction méthodologique pour l'évaluation des prélèvements d'eau souterraine, l’importance de comprendre les pratiques et usages de l’eau pour évaluer les besoins en eau d’un territoire. L’analyse des forages a permis de rendre visible l’eau souterraine à travers la mise en réseau par l’électricité, les réseaux d’acteurs et institutionnels. Et enfin, l’analyse de l’avancée d’une « frange pionnière », concept mobilisé en lieu et place du front pionnier, a montré qu’elle résultait de l’imbrication des trois principaux axes à savoir le foncier, l’eau et les infrastructures et que chacun de ces axes conjugue à la fois l’action de l’État et l’initiative privée. Pour conclure, nous posons la question de la durabilité de cette agriculture en pleine expansion dans un contexte de ressources fragiles qui manifeste déjà des signes d'essoufflement, de faible régulation économique de la production maraîchère et de vulnérabilité sociale.

 

Mots clefs :  Eaux souterraines, agriculture irriguée, transformation, adaptation

Mare permanente de Tombo, ©Photo : S. Bachir, IRD

 

Dans le S.O du Niger, à proximité de Niamey, un suivi hydrologique détaillé a été conduit au cours des 25 dernières années sur 10 000 km2 par les programmes de recherche internationaux HAPEX Sahel et AMMA. Cette observation de terrain à long terme a conduit à de nombreux résultats scientifiques majeurs. Parmi eux, le plus original et spectaculaire est la remontée continue de la nappe phréatique en dépit des grandes sécheresses des années 1970 et 1980 (~4 m en 40 ans). Cette hausse est liée au déboisement des savanes naturelles qui a provoqué un afflux d’eau de ruissellement supplémentaire vers les mares temporaires occupant les bas-fonds, considérées comme les principales zones de recharge de l’aquifère. Un suivi fin hydrodynamique, géochimique et isotopique (18O, 2H) ainsi que des campagnes de nivellement et de photographie aérienne ont été conduits entre 2013 et 2016, en complément des mesures antérieures.

 

Notre étude se focalise sur une sous-partie de 900 m2, dans le S.E du site à long-terme, où la hausse généralisée des réserves souterraines induit même l’apparition de nouvelles mares permanentes sur au moins 50 ha dans les zones les plus basses. Ces nouvelles mares correspondent à l’affleurement de la nappe alors que les mares temporaires "habituelles" résultent uniquement des dynamiques de surface. Le nombre et la superficie de ces mares d'affleurement de nappe ont augmenté depuis une vingtaine d’années, ainsi que les surfaces irriguées autour d'elles pendant la saison sèche. L’évaporation dans les mares augmente considérablement leur conductivité électrique (CE supérieures à 1000 µS.cm-1) tandis que la minéralisation naturelle des eaux souterraines reste très basse (CE entre 20 et 100 µS.cm-1). Cette différence de salinité est confirmée par le suivi isotopique (18O, 2H) qui a également montré que les eaux superficielles connaissent une évaporation significative (teneurs en O-18 supérieures à +7 ‰). La reprise évaporatoire directe à partir de la nappe phréatique est aussi sensible à l’échelle locale des mares où celle-ci est proche de la surface. L’utilisation conjointe d'eau de surface et d’eau souterraine pour l’irrigation peut éviter la salinisation des sols et contribuer également à atténuer les impacts de l’irrégularité des précipitations sur l’agriculture.

 

Le vendredi 19 mai de 10h à 12h, en salle Mosson, a eu lieu le séminaire IM2E – sciences sociales sur la thématique « Sciences Politiques et Eau »          

  • Gwenola Le Naour (IEP Lyon), « alliances politiques de plusieurs communes concernées par les pollution du fleuve Rhône près de Lyon »
  • Sylvain Barone, « Les élus de l’eau »

Le seminaire IM2E – sciences sociales sur la thématique « gouvernance de l'Eau en Afrique du sud » a eu lieu le mardi 28 Février de 10h à 12h, en salle Mosson.

  • Leïla Harris, Université Colombie Britanique (accueil G-eau), a présenté ses travaux.
  • Magalie Bourblanc, a présenté son  travail intitulé "Néo-patrimonialisme ou affaire de réseaux de politiques publiques? Retour sur la construction du Polihali mega-dam du Lesotho Highlands Water Project Phase 2"

Vendredi 7 avril à 11h en Salle Mosson,  deux interventions sur les aspects socio-économiques de la REUSE :

Sébastien LOUBIER a présenté le projet « REUT SoPoLO : La REUT, une solution possible localement ? Evaluations économiques et sociales préalables à un projet »

Patrice GARIN a présenté son travail sur « Les émotions, comportements et argumentaires sur l’EUT pour l’irrigation des cultures alimentaires et l’arrosage des jardins »

Voir ci-après la vidéo de la présentation :

Vendredi 31 mars à 11h en Salle Mosson, Abdellah Hmouri (Université Hassan II, Maroc – encadrement Marcel Kuper et Zhour Bouzidi) a présenté ses travaux de thèse en sociologie : « Les interactions stratégiques dans un système d’irrigation communautaire convoité : Enjeux, impacts et devenir ».

Voir la vidéo et télécharger le diaporama de présentation ci-après :

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