Le développement rapide de l’usage des eaux souterraines pour l’irrigation en Tunisie a permis une croissance agricole considérable. Mais dans de nombreuses régions un tel développement devient non durable, comme c’est le cas pour la plaine de Kairouan en Tunisie centrale.
La tendance au morcellement des exploitations agricoles et l’augmentation continue du prix des intrants dans ce territoire irrigué ont conduit à une diminution des revenus des agriculteurs, incitant les irrigants à s’orienter vers des cultures à haute valeur ajoutée, pour rentabiliser leurs petits lots de terre. Mais ces cultures (maraîchage et vergers) sont en contrepartie plus consommatrices en eau, entraînant une situation de déséquilibre entre l’offre et la demande. Ce déséquilibre est encore accentué par la succession des périodes de sècheresse et les dysfonctionnements de la distribution de l’eau dans les PPI, avec des risques fréquents de pannes et des tours d’eau très longs. Ceci a engendré une compétition entre les usagers pour accéder à la ressource et une frénésie d’installation de forages privés entrainant un rabattement annuel du niveau de la nappe d’environ 1,5 m/an (CRDA, 2015).
L’administration n’arrive pas à contrôler l’expansion des prélèvements individuels et doit constamment arbitrer entre des objectifs de préservation des ressources en eau (fermeture des forages) d’une part et la consolidation du développement agricole dans la région (fixation de la population rurale, maintien des niveaux de production, amélioration du revenu agricole) d’autre part. En l’absence d’une application réelle des lois pour limiter la surexploitation des nappes, c’est toute l’économie agricole qui est fragilisée, avec des effets en cascade sur le développement rural, les filières agricoles, et in fine la sécurité alimentaire du pays. Dans ce contexte de surexploitation des nappes, l’estimation de la demande en eau et l’identification de ses déterminants paraissent incontournables. La demande en eau estimée permet de quantifier l’écart existant et les déséquilibres à venir entre disponibilité et besoin et d’évaluer au mieux les options de gestion de la ressource.
Nous voulons dans ce travail décrire brièvement le contexte actuel de plaine de Kairouan, la typologie existante des exploitations agricoles, et les évolutions qui sont apparues depuis les années 2005. Nous essayerons de comprendre :
- Y a-t-il eu des changements importants dans la structure des exploitations (morcellement, main d’oeuvre, équipements …) qui ont influencé leurs choix de production et donc leur demande en eau?
-Dans quel sens et dans quelle proportion ont évolué les superficies irriguées ? Y a-t-il eu des modifications des cultures irriguées ? Les pratiques et techniques d’irrigation ont-elles changé ?
-Y a-t-il des inégalités d’accès à la ressource ? Ont-elles augmenté ou diminué dans la période récente ? Cela amène-t-il au développement d’échanges d’eau entre exploitations ?
Ensuite, nous modéliserons le fonctionnement des exploitations types (modélisation microéconomique), en tenant compte des contraintes qui pèsent sur elles et des échanges de foncier et d’eau qui ont eu lieu entre les agriculteurs.
Etant donné un contexte actuellement très changeant (marchés, réglementation, climat), prévoir la demande en eau d’irrigation à moyen et long termes doit tenir compte des incertitudes sur l’impact sur les exploitations agricoles qu’auront les changements de contexte. Ainsi nous proposons de simuler la variation de la consommation en eau en fonction de différents scénarios climatiques, d’options de politique agricole et d’un ensemble d’instruments de gestion.
Mots clefs : Exploitation agricole, territoire irrigué, demande en eau, modélisation, simulation, instruments économiques, ateliers de prospective
Photos : Installation forage illicite, Plaine de Kairouan Tunisie©Amal Azizi



Dans les zones semi-arides, l'agriculture est basée sur des ressources "eau et sol" limitées et fragiles souvent surexploitées. L'évaluation environnementale dans ces zones est difficile due au manque de données. Notre zone d'étude est située à l'amont du bassin versant de Merguellil, situé en Tunisie centrale, un pays méditerranéen, caractérisé par un climat semi-aride avec une forte variabilité des précipitations et des taux d'évaporation élevés (Lacombe, 2008) et elle est considérée comme une importante zone de recharge des aquifères. Dans la région méditerranéenne, la dégradation des sols et les ressources en eau constituent un enjeu pour l'homme et l'environnement. L'agriculture en Méditerranée se caractérise par des exploitations de petite taille - un grand nombre de fermes ont moins de 10 hectares - et économiquement moins efficaces. L'amont du Merguellil réunit des enjeux environnementaux majeurs tels que des ressources variables et limitées, la surexploitation des ressources en eau, le faible contrôle de l'accès à l'eau et une dégradation accélérée des sols. Ces problèmes sont également rencontrés dans tout le bassin méditerranéen, le bassin Merguellil peut alors être considéré comme un cas exemplaire (Leduc et al., 2007). Cette zone présente également une faible disponibilité de données. A partir de 1990, ce bassin a fait l'objet de plusieurs travaux de conservation des eaux et des sols pour le protéger contre l'érosion et protéger la partie aval du bassin versant de Merguellil (la plaine du Kairouan). Le développement d’une agriculture irriguée de plus en plus intensive et l'expansion rapide des aménagements de conservation ont posé la question de leurs impacts environnementaux et particulièrement sur la qualité des sols.
La Tunisie cherche à réorienter ses politiques d’aménagement et de conservation des eaux et des sols (ACES) afin qu’elles gagnent en efficacité, en s’appuyant sur des démarches participatives innovantes. Cette réorientation passe par le renforcement du dialogue entre les principaux acteurs des espaces ruraux concernés, agriculteurs et administration. Cependant, cette orientation s’inscrit dans des contextes ruraux souvent peu documentés où la dimension environnementale nécessite d’être objectivée. En plus, l'intensification agricole d’une agriculture irriguée en Tunisie centrale, engendre des impacts environnementaux locaux et régionaux, liés à une consommation accrue en intrants et ressources, dont l’eau et le sol. En faveur d'une agriculture plus durable et pour éclairer les politiques publiques de développement agricole, il est nécessaire d’évaluer les impacts des pratiques agricoles et d’aménagement, et ceci à l’échelle d’un territoire. La question est ainsi de savoir comment mettre en œuvre une démarche d'évaluation environnementale dans un contexte 1) de rareté de données fiables y compris statistiques, et de complexité des pratiques agricoles, 2) de proéminence des questions socioéconomiques sur les préoccupations environnementales 3) de méconnaissance de la perception des acteurs locaux sur ces questions et donc de difficulté à identifier des indicateurs pertinents et mobilisables.




